Le blog de Laurent Schietecatte, professeur d'histoire-géographie au collège et au lycée Jules Verne (Nantes)
20 Novembre 2015
"L'Album d'Auschwitz ne montre pas les morts mais les vivants ; il témoigne de l'humanité à laquelle nous appartenions et dont les nazis avaient voulu nous éliminer. En contemplant ces photographies, nous ne pouvons qu'être frappés par ces gestes familiers : geste de mère, d'angoisse, d'amour. Et surtout le geste des enfants : ces enfants qui étreignent leur mère, cette petit fille qui enfouit sa main dans sa bouche, ce petit garçon au regard farouche qui, les mains enfoncées dans ses poches, dévisage l'appareil photographique, ce frère qui tient, serrée dans la sienne, la main de son cadet (...). Ces photographies sont d'une importance cruciale : elles incarnent les mots, elles montrent les visages, elles sont une preuve incontestable de ce qui devait être effacé de la mémoire des hommes". Simone Weil, déportée à Auschwitz à 17 ans.
C'est Lili Jacob, une jeune fille juive rescapée, qui a découvert l'album au camp de Dora en 1945. Ces photographies, prises par des SS, décrivent l'arrivée à Auschwitz, le 26 mai 1944, d'un convoi de juifs hongrois. Elles révèlent les quelques heures précédant le meurtre dans les chambres à gaz de la plupart d'entre eux. Lili Jacob faisait partie de ce convoi. Le quotidien Le Monde propose quelques-uns de ces clichés sous la forme d'un portfolio avec un commentaire expliquant les différentes étapes pour les déportés de leur arrivée à leur extermination. L'Album d'Auschwitz est également disponible presque en intégralité sur le site de Yad Vashem.
1,1 million de personnes ont été exterminées à l'intérieur du camp mixte d'Auschwitz-Birkenau, 90 % étaient juives. Pour mieux comprendre comment fonctionnait le plus grand complexe concentrationnaire nazi, France 5 éducation a mis en ligne un atelier interactif réalisée pour le 60e anniversaire de la libération de ce camp en 2005 : politique antisémite du régime nazi, mise en oeuvre du génocide juif, étude des 3 camps (Auschwitz, Birkenau et Monowitz)... tout y est remarquablement expliqué.
"Après la première étape de la sélection où sont séparés, d'un côté les hommes et, de l'autre, les femmes et les enfants, cette photo montre la seconde étape de la sélection, c'est à dire le moment où le médecin SS fait la distinction entre ceux qu'ils considèrent "inaptes" au travail (la plus grande majorité) et ceux à qui l'on confiera une tâche, les "aptes" au travail. (...) Etaient considérés comme "inaptes", les vieillards ou ceux qui avaient une apparence chétive, les femmes avec des enfants, les enfants qui paraissaient avoir moins de 16 ans, les invalides et les handicapés. Il est à souligner que dans les autres camps de mise à mort (Chelmno, Belzec, Sobibor, Lublin-Majdanek), tous les juifs étaient directement dirigés vers les chambres à gaz, à l'exception de quelques-uns qui étaient utilisés durant un bref moment pour les opérations relatives à la liquidation des cadavres, notamment." M.Pezzetti et S.Zeitoun, Analyse et commentaire sur l'Album d'Auschwitz
"Ces femmes et ces enfants ont été classés "inaptes au travail" à leur arrivée à Auschwitz-Birkenau. Ils attendent à proximité du four crématoire IV pour être gazés. La grande majorité n'avait aucune idée de ce qui les attendait". Yad Vashem, World center for Holocaust.
Je vous conseille deux superbes livres : celui de Jean-Claude Moscovici, Voyage à Pitchipoï (édition l'école des Loisirs) qui raconte avec des mots simples son enfance durant la guerre, la déportation de sa famille, l'antisémitisme des nazis et de certains français, la déportation à Drancy avec sa petite soeur, le retour "miraculeux" de sa mère... mais pas de son père.
Le second, J'ai pas pleuré, de Ida Grinspan, écrit avec Bertrand Poirot-Delpech (plusieurs exemplaires sont au CDI).
Née en 1929 de parents polonais qui avaient fui l'antisémitisme de leur pays, Ida Grinspan sera envoyée dans les Deux-Sèvres à partir de 1940 : elle y apprendra deux ans plus tard l'arrestation de sa mère lors dela rafle du Vel d'Hiv. Elle sera elle même arrêtée dans la nuit du 30 au 31 janvier 1944 par des gendarmes français, transférée à Drancy puis déportée à Auschwitz dans un convoi arrivé le 13 février 1944 : elle avait 14 ans mais paraît plus âgée, ce qui la sauve de la chambre à gaz où étaient envoyés d'office les moins de 15 ans. Elle y restera jusqu'en janvier 1945 pour être amenée au camp de Ravensbrück, puis à celui de Neustadt où elle sera libérée en mai par des soldats soviétiques.
Dans son livre, elle écrit : « N’être qu’un numéro, ne rien posséder de personnel qu’une gamelle et une cuillère, avoir constamment faim, toujours froid durant les longs hivers, être épuisée, battue et craindre le pire à chaque instant…
Comment on résiste à tout cela ? Je n’ai pas de réponse, sinon qu’il a fallu une somme incroyable de hasards, de chances. La nature humaine a des ressources stupéfiantes.
Nous qui sommes rentrés, nous sommes des témoins-acteurs. C’est pour les quatre-vingt-dix-sept pour cent d’assassinés que nous racontons inlassablement. L’oubli serait aussi intolérable que les faits eux-mêmes».