14 Septembre 2016
L'immense triptyque Der Krieg ("la guerre") (1929-1932), accroché dans la Neue Galerie Meister à Dresde, est l'une des œuvres majeures de la peinture réaliste allemande du 20ème siècle. S'inspirant des maîtres du XVIe siècle, ce retable est composé de quatre panneaux montrant des soldats qui partaient à l'aube (panneau de gauche de 204x102 cm), le champ de bataille comme un lieu de mort (panneau central de 204x204 cm), les soldats revenant de la la lumière de la bataille (panneau de droite de 204x102 cm) et la des soldats tombés sur le champ de bataille qui reposent en paix dans un abri (la prédelle, sous le panneau central, de 60x204 cm).
Lorsque la guerre éclate en août 1914, Otto Dix s'engage comme volontaire dans l'artillerie de campagne allemande. Pendant trois ans, il va participer à de nombreuses campagnes en Champagne, dans la Somme ou en Russie dont il sortira vivant. Mas ces années de guerre vont le marquer à jamais.
« J’ai bien étudié la guerre. Il faut la représenter d’une manière réaliste pour qu’elle soit comprise. L’artiste travaillera pour que les autres voient comment une chose pareille a existé. J’ai avant tout représenté les suites terrifiantes de la guerre. Je crois que personne d’autre n’a vu comme moi la réalité de cette guerre, les déchirements, les blessures, la douleur. » « C’est que la guerre est quelque chose de bestial : la faim, les poux, la boue, tous ces bruits déments. C’est que c’est tout autre chose. Tenez, avant mes premiers tableaux, j’ai eu l’impression que tout un aspect de la réalité n’avait pas encore été peint : l’aspect hideux. La guerre, c’était une chose horrible, et pourtant sublime. Il me fallait y être à tout prix. Il faut avoir vu l’homme dans cet état déchaîné pour le connaître un peu. » Entretien avec Otto Dix, 1961, cité par Éva Karcher, Otto Dix, Taschen, 1992, p. 34.
Vidéo réalisée pour l'exposition "The Dresden Triptych" en 2014
Pour la réalisation de son triptyque, Otto Dix se tourna de plus en plus vers le modèle des maîtres anciens, notamment Matthias Grünewald, Jérome Bosh, Albrecht Dürer ou encore Francisco de Goya.
Le Jugement dernier est un triptyque conservé au Musée Groeninge de Bruges. Il a été peint par Jérôme Bosch ou par son atelier entre 1495 et 1505, voire 1510.
Partie du Retable d'Issenheim (Configuration retable fermé) v. 1512-1516, huile sur bois, Musée Unterlinden, Colmar.
Otto Dix a réalisé d'autres travaux sur la guerre, notamment la série de croquis intitulée Der Krieg, datant de 1924.
Otto Dix a peint ce triptyque Der Krieg entre 1928 et 1932, soit dix ans après la fin de la Première Guerre mondiale, dans un contexte où le mouvement national-socialiste prend son essor et réclame une revanche par rapport au traité de Versailles.
Il faut également souligner que durant la même période, de nombreux romans ont été écrits comme "A l'ouest rien de nouveau" (1929) par Erich Maria Remarque, ainsi que les films comme "Quatre de l'infanterie" (Westfront 1918) de Georg Wilhelm Pabst (1930, film qui "retrace la vie et la mort de quatre fantassins allemands sur le front français lors des derniers mois de la première guerre mondiale. Un jeune étudiant s'éprend de la cantinière et en fait sa maîtresse. Il sera tué au moment où son ami Karl, en permission, découvre l'infidélité de sa femme. Revenu au front, Karl et trois de ses compagnons se portent volontaires pour une mission au cours de laquelle il est blessé. Il meurt dans une église transformée en hôpital, tandis qu'à ses côtés un ennemi agonisant lui saisit la main en signe de fraternité." (Wikipedia).
e film de Pabst (en VO allemand avec des sous-titres anglais)L
Le grand éditeur allemand Samuel Fischer aurait à peine feuilleté A l'Ouest, rien de nouveau, qui montrait une jeunesse broyée par la Grande Guerre. « Il a dit à Remarque : il y a eu suffisamment de livres sur la première guerre mondiale comme ça », s'amuse Alain Ruiz, professeur émérite de littérature et civilisation des pays germaniques à l'université Michel de Montaigne-Bordeaux 3 (...). Mais Fischer se trompe. Son rival, Ullstein, achète le roman, le fait publier en feuilleton dans le quotidien allemand Vossische Zeitung en 1929. C'est un succès immédiat pour Erich Maria Remarque, fils d'un relieur, happé à 18 ans par la guerre, expérience traumatisante dont il tira son histoire.
A sa publication, en janvier 1930, le roman s'arrache en Allemagne (800 000 exemplaires vendus jusqu'à l'exil de l'auteur en 1935) et en France (600 000 exemplaires). Mais dans le pays de l'auteur, les milieux nationalistes allemands crient à la trahison. A Hollywood, le patron d'Universal Pictures, Carl Laemmle, achète rapidement les droits et en confie l'adaptation à Lewis Milestone, jeune immigré juif de Bessarabie, ancien du Signal Corps où il a servi comme opérateur de cinéma, et réalisateur en pleine ascension. Le budget est de 1,25 million de dollars – une grosse somme pour l'époque , après le krach boursier de 1929.
Quand le film sort, quelques mois plus tard, il fait un grand effet aux Etats-Unis. « La plupart du temps, le public était silencieux, saisi par les scènes réalistes. C'est un accomplissement notable, sincère et sérieux plein d'éclats vifs et graphiques », s'enthousiasme le New York Times en avril 1930. A l'Ouest, rien de nouveau remporte deux Oscars – celui du meilleur film et du meilleur réalisateur.
Le 5 décembre 1930, la première du film à Berlin est l'occasion d'un grand coup de propagande pour les nazis, trois ans avant l'arrivée au pouvoir d'Hitler. S'estimant humiliés par les Américains dans ce film et dans beaucoup d'autres productions hollywoodiennes, les hommes de Goebbels – alors restés quelque peu dans l'ombre dans une capitale allemande plutôt sociale-démocrate voire communiste – perturbent la soirée, lâchant des bombes puantes et – selon certains récits, des animaux – dans la salle, entonnant des chants nazis, se battant avec leurs opposants. Du balcon, Joseph Goebbels clame que le film est une tentative de détruire l'image de l'Allemagne, rapporte Ben Urwand de l'université de Harvard dans son livre paru en août 2013, The Collaboration: Hollywood's Pact with Hitler.
L'incident a une énorme résonance en Allemagne et à l'étranger. Et met brusquement un coup de projecteur sur un parti politique en pleine ascension. « Dans l'opinion publique, cela a eu un fort impact, cela a permis aux nazis de se manifester, de se mettre en vedettes, même s'il ne faut pas exagérer rôle du film : ce n'est pas l'acte fondateur du lancement du nazisme », affirme Alain Ruiz. Suite aux troubles occasionnés, le film est retiré de l'affiche. Les nazis peuvent savourer leur victoire. D'après Ben Urwand, Carl Laemmle, pensant au manque à gagner généré par cette censure, décide alors de faire des coupes dans le long-métrage. L'autorité de censure allemande aurait accepté le nouveau montage à condition que toutes les versions internationales soient coupées de la même façon.
Ben Urwand parle d'une « collaboration » opérée suite à ce film entre les producteurs hollywoodiens et l'Allemagne. « C'est vrai qu'il y a eu une attitude ambiguë des producteurs au début des années 1930, reconnaît Alain Ruiz. Ils voulaient exporter leurs films. Ils ont donc évité de faire des œuvres heurtant les nazis, ils les ont ménagés. Mais ce n'était pas de la collaboration, et Hollywood a vite fait de réaliser des films antinazis. »
Il faut attendre les années 1950 pour pouvoir revoir A l'Ouest, rien de nouveau et relire le roman, mis par Hitler sur la liste des autodafés pour « trahison ». Il est adapté pour la télévision américaine en 1979 et continue à se vendre en librairie. « On l'oublie souvent, mais c'est LE succès, LE best-seller du XXe siècle, souligne Alain Ruiz. Impossible de chiffrer le nombre exact de ventes dans le monde mais c'est au minimum 30 millions. »
(source : le Monde)