15 Janvier 2020
Laurent Barthélémy était un élève de 14 ans, scolarisé au lycée municipal Simone-Ehivet-Gbagbo à Abidjan, Côte d'Ivoire. Il est mort dans un train d'atterrissage d'un avion en tentant de gagner la France pour "jouer à haut niveau au football, et rentrer à la maison montrer à ses parents qu'il avait de la valeur".
A lire dans un article du quotidien Libération (en lien avec le chapitre sur un monde de migrants en 4e).
Au collège-lycée Simone-Ehivet-Gbagbo d'Abidjan, où Laurent Barthelemy Ani Guibahi était élève en classe de quatrième. AFP
"A quoi rêve un collégien dans une salle de classe bondée de 115 élèves, assis sur un banc en bois prévu pour deux où ils se serrent à trois ou quatre ? A quoi pense ce gamin en ralliant, sans doute à pied, la trentaine de kilomètres qui sépare son domicile de l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan où il s’apprête à se glisser dans le train d’atterrissage d’un avion ? Ces questions vont hanter longtemps l’entourage de Laurent Barthélémy Ani Guibahi, 14 ans, dont le corps a été retrouvé, mercredi 8 janvier, dans un Boeing 777 d’Air France qui venait de se poser à Roissy. Sa chance de survie était nulle en raison d’un froid extrême en altitude et du manque d’oxygène.
Laurent Barthélémy Ani Guibahi était scolarisé au lycée municipal Simone-Ehivet-Gbagbo, dans le quartier populaire de Yopougon, où il vivait. Un quartier immense et grouillant, un dédale dont on ne saisit pas vraiment les contours. L’adolescent n’était pas un élève turbulent, pas une grande gueule qui roule des mécaniques pendant les récréations. Il était à l’opposé, un gamin discret, au comportement irréprochable en classe. "Jamais un professeur n'a eu de griefs contre lui, assure Antoine Mel Gnangne, éducateur en classe de quatrième. Je suis choqué, très étonné." Il décrit un enfant aux résultats moyens. Bon en sciences mais faible en français, à qui les enseignants demandaient plus de concentration et de travail.
Liliane N’Goran, l’adjointe du directeur, est dans un même état de sidération. «Le lycée existe depuis 2003, jamais aucun de nos élèves n’a fui», affirme-t-elle, les yeux rivés sur la photo de l’avis de recherche du garçon fourni par la famille. On y voit un adolescent à la silhouette frêle vêtu d’une tenue traditionnelle. Un corps peu athlétique à première vue, et pourtant, il rêvait de football. «Il jouait beaucoup au ballon. Il a dit à des camarades qu’il voulait partir, n’importe où, pour jouer à haut niveau et rentrer à la maison montrer à ses parents qu’il avait de la valeur», comme l’a appris Liliane N’Goran en discutant avec des élèves. Elle évoque un climat familial difficile : «Il souffrait un peu à la maison, où il vivait avec son père et sa belle-mère.» Partir de chez soi, quitter son quotidien compliqué pour s’accomplir et prouver sa «valeur»aux siens : c’était le rêve d’adolescent de Laurent Barthélémy.
«Jamais nous n’aurions pensé qu’un élève d’ici ferait ça. C’est un bon lycée. Oui, il y a 7 000 élèves, mais c’est la première école publique ivoirienne où les professeurs ont arrêté d’utiliser la craie», s’enorgueillit Léonard Doua, un représentant des parents d’élève. Un lycée aux nombreux bâtiments fissurés, bordé de pistes de terre, à la cour jonchée de plastiques et où le nombre d’inscrits oblige à pratiquer la «double vacation», soit la moitié des élèves d’une classe en cours le matin, comme Laurent Barthélémy, l’autre l’après-midi.
Certains de ces élèves se sont confiés en début de semaine à un journaliste d’un quotidien ivoirien. D’après eux, Laurent Barthélémy n’avait pas prémédité son acte seul. Une quinzaine d’adolescents se seraient rendus à l’aéroport. Sur place, seul Laurent Barthélémy aurait profité d’une faille dans une partie du mur d’enceinte, traversé la piste au moment où l’avion s’apprêtait à décoller pour venir se nicher, vêtu d’un simple tee-shirt, dans le train d’atterrissage.
Des enquêtes ont été ouvertes pour déterminer comment il est possible que ce gamin ait réussi à se faufiler ainsi en déjouant le système de surveillance. «Les clôtures seront renforcées. Nous allons procéder au déguerpissement des populations autour de la zone aéroportuaire», a assuré le ministre des Transports, Amadou Koné, face à la polémique naissante autour de la sécurité dans cet aéroport où transitent environ 2 millions de passagers par an.
Après ce drame, le lycée Simone-Gbagbo a également décidé de mettre en place des actions de sensibilisation. La semaine prochaine, d’anciens candidats au départ vers l’Europe viendront témoigner dans les classes, pour tenter de dissuader les jeunes qui rêvent d’un avenir meilleur en Europe. «Le bonheur peut être ici»,a assuré le directeur du lycée lors d’une cérémonie d’hommage à Laurent Barthélémy.
Florence Richard, correspondante de Libération à Abidjan